Sri Lanka, en novembre 1973.
Sri Lanka... autrement dit l'île de Ceylan: à l'extrémité sud de l'Inde. Novembre, cela signifie là-bas la fin de la mousson : presque chaque jour un orage accompagné de pluies diluviennes, mais aussi du soleil et en plus un spectacle permanent d'étonnants nuages en mouvement, se métamorphosant, au point que le piéton sensible ou distrait en oublie de regarder où il pose les pieds.
Nous étions trois : Michel (journaliste) et Roger (preneur de son) et moi-même, photographe indépendant. Notre équipe avait popour mission de récolter du matériel audio-visuel en rapport avec la planification familiale. La première semaine avait été consacrée à des personnages officiels, des visites de centres de PF (planification familiale) et d'hôpitaux. Travail indispensable, mais terriblement frustrant pour le photographe qui sent la promesse d'un arrière-pays fascinant. Après ce séjour à Colombo, la capitale, vint la récompense : un voyage d'environ une semaine en voiture ä travers l'île, en longeant tout d'abord les côtes ouest et sud, parsemées de villages de pêcheurs (et depuis peu de quelques constructions pour touristes échappés des pays où l'on souffre de surconsommation, puis une incursion dans le centre, la région montagneuse.


Retour au Moyen-Age
C'est là que se trouvent la plupart des plantations de thé. Le fameux thé de Ceylan! Peu avant mon départ, mon fils avait vu à l'ORTF un film intitulé "le Prix d'une tasse de thé" et en avait été bouleversé. Il m'avait averti : "Tu vas voir des choses terribles, c'est l'enfer là-bas."
Ce film réalisé par une équipe britannique (et qui a passé depuis à "Temps Présent" à la Télévision Suisse romande) est un véritable acte d'accusation, partial mais honnête. Il a provoqué à Londres (la plupart des plantations sont encore financièrement en mains britanniques ) et dans l`île de Sri Lanka des remous considérables. Et la venue de journalistes (même si nous ne travaillions pas pour la "grande presse) dans l'une de ces plantations, ne suscitait guère l'enthousiasme. Sans introduction et préparation nous aurions probablement été accueillis au bout du fusil !
La plantation fut soigneusement choisie (pas celle du film) le directeur dûment averti - et nous fûmes traités royalement. Malgré toutes ces précautions, cette journée fut un plongeon dans un monde qu'on pourrait être tenté de croire révolu : celui du servage, à peu de chose près, comme l'Europe l'a connu au Moyen Age. Le salaire mensuel de base d'un ouvrier équivaut au prix d'une nuit dans un hôtel convenable de Colombo...Il existe des misères plus agressives (j'allais presque écrire : plus "spectaculaires") par exemple des camps de réfugiés , les rues de Calcutta, les victimes de guerre : mais ce dénuement accepté, cette absence d'espoir (espoir d'un changement) provoqua chez moi un sentiment d'étouffement, de révolte plus prononcé encore que face à des situations ouvertement dramatiques.
L'image qui figure ici montre trois fillettes nous souhaitant la bienvenue dans l'école de la plantation.

Texte paru le 7 avril 1974 dans la Tribune de Genève.